Installation au Lavoir d'Aubais (Gard) avec ATP Intersites, dans le cadre de Territoires d’écritures, 2015
Impression sur tissu, 8 lais de 350 x 80 cm
Rhizome
Dessiner n’est pas représenter, ni saisir, définir, encore moins signifier. Mais arpenter, cartographier un aspect du réel que nous
ne connaissons pas encore et qui est en cours de création : un mouvement de flux.
Ni expression, ni contrôle ni hasard, mais transcription graphique d’une sensation initiée par le regard et qui se développe dans le corps, s’y déploie et l’excède.
C’est une expérience renouvelée de l’ici et maintenant, du temps et de son inscription dans l’espace.
Le corps est vacant, libre de volitions ou d’intention d’emprise, puisant dans sa dimension d’inconnu.
C’est une corporéité sans périphérie ni centre, sans sujet ni objet, pure réceptivité à ce qui se fait et se défait dans l’instant. Respirer, ouvrir, remettre du jeu, créer la vacuité qui permet
la circulation des flux.
Dans l’entrelacement du réel, dans l’entrelacs mêlé du réseau de lignes imbriquées, certaines lignes s’avancent, semblent palpiter. Ce ne sont pas des lignes de force : plutôt des lignes de
fragilité, de nudité.
Le corps abolit la distance, devient ce que les yeux voient. Sans nommer, dans une observation sans mémoire ni savoir préalable.
Le regard suit les lignes végétales et la main s’abandonne aux mouvements du regard. Elle suit les chemins qu’il emprunte, épouse les lignes mouvantes qui animent le tissu continu des formes, ce
que laisse voir la matière dans son état le plus diaphane : matière-énergie, expression du vivant dans son impermanence.
Rhizome, dirait Deleuze, rejoignant la pensée chinoise : pensée multidirectionnelle de la fluidité, de l’adaptation incessante.
La ligne intègre l’aléatoire. Fragile ou assurée, elle s’avance, s’étire, se courbe, hésite et revient, se coupe, se raccorde, s’interrompt et repart.
Elle est lieu de passage sans déroulement prédéfini, ni dans l’espace ni dans le temps. Elle se propage, prolifère, se ramifie, à la fois en lien et en liberté.
Ses chemins sont toujours nouveaux et leurs combinaisons infinies.
Extraite de la continuité du monde, la forme devient un monde en soi, ouvert, dont les mouvements se relient, se déploient, se rassemblent.
Organique, fluctuante, elle est fragment d’immanence.
Elle est en devenir.